A revolta dos subúrbios, versão 2
François Dubet é professor de Sociologia na Universidade Bordeaux-II e "directeur d’études" na Escola de altos estudos de ciências sociais (EHESS). Acaba de publicar, com outros 4 pesquisadores, Injustices, l’expérience des inégalités au travail (Le Seuil, 504 pages, 23 €). Este sociólogo especialista em juventude e mundo do trabalho analisa a inquietude dos jovens confrontados com a precariedade. Sublinha até que ponto estes movimentos diferem do romântico Maio de 68. Considera o movimento anti-CPE como a réplica, nas classes médias, do movimento dos subúrbios que há uns tempos atrás fez arder a França ("Le mouvement anti-CPE est la réplique, dans les classes moyennes, de celui des banlieues").[Na entrevista, feita pelo Le Monde, que aqui se reproduz, achei interessante a ligação, estabelecida pelo entrevistado, entre estes temas e o não francês à Constituição europeia].
Quelle analyse faites-vous du mouvement contre le contrat première embauche (CPE) ?
Ce mouvement est l’expression d’une classe d’âge qui a le sentiment – assez justifié – que la société les accepte en tant que consommateurs et en tant qu’étudiants mais qu’elle ne sait pas leur offrir un avenir. Comme toutes les mobilisations de la jeunesse, ce mouvement a transformé une mesure « technique » – un nouveau contrat de travail – en un enjeu symbolique. A l’instar du CIP, il y a quelques années, ou de la réforme du baccalauréat, l’année dernière, le contrat première embauche est perçu comme une mesure accentuant une tendance lourde : dans la distribution sociale des opportunités, des ressources et des chances, notre pays, depuis une trentaine d’années, a traité les jeunes comme une variable d’ajustement.
C’est eux qui ont eu droit aux emplois précaires, c’est eux qui ont eu droit aux stages non rémunérés, c’est eux qui ont eu droit à l’intérim, et cela alors que l’écart de salaire entre les débuts et les fins de carrière n’a cessé d’augmenter. Peu à peu s’est installé le sentiment qu’une frontière intérieure séparait ceux qui sont dedans – qu’ils soient bien ou mal payés, ils peuvent anticiper leur vie, louer un appartement, faire un emprunt – de ceux qui sont dehors – le monde des banlieues ou ce monde juvénile étudiant des classes moyennes qui vit dans une incertitude croissante. Lorsque le chômage atteint 25 % d’une classe d’âge, on a vite le sentiment que l’on peut tomber du mauvais côté de la barrière.
Y a-t-il une parenté, selon vous, entre le mouvement des banlieues de l’automne et ces mobilisations lycéennes et étudiantes contre le contrat première embauche?
Les jeunes des banlieues qui se sont révoltés en novembre dernier sont déjà de l’autre côté de la barrière : dans leurs quartiers, le chômage des moins de 25 ans atteint parfois 40 %, ce qui n’est plus tolérable. Leur révolte est la révolte sociale classique des « classes dangereuses », qui cassent et qui brûlent. Le mouvement anti-CPE est, au fond, dans les classes moyennes, la réplique de celui des banlieues. Ces deux mondes se méfient l’un de l’autre – les jeunes des banlieues estiment que les étudiants sont mieux traités qu’eux et les étudiants craignent que les casseurs des banlieues viennent gâcher leurs manifestations –, mais leurs angoisses sont très proches : certains sont déjà dehors, les autres ont peur de les rejoindre.
On est très loin d’un mouvement romantique comme celui de 1968, qui rassemblait une classe d’âge ayant eu la chance historique d’accéder massivement à des études et pour laquelle le chômage était une idée lunaire. Depuis vingt ans, la mémoire sociale comprend d’ailleurs peu de grandes luttes symboliques qui ont permis d’arracher des droits ou des conquêtes : la scène sociale est dominée par des mouvements lourdement marqués par l’inquiétude, qu’il s’agisse des émeutes des banlieues, qui ont commencé dès 1981, ou des mouvements étudiants, qui n’ont cessé de scander les vingt dernières années.
Ces mouvements sont-ils la conséquence des promesses non tenues de la massification scolaire ?
Ces mobilisations étudiantes récurrentes sont un fait social spécifiquement français que l’on peut expliquer de deux manières. Dans le monde du travail, ni le patronat ni les syndicats n’ont fait de la précarité et de l’intégration des jeunes une affaire centrale : le patronat s’intéresse peu à la formation et les syndicats sont repliés sur les secteurs protégés. Dans le monde scolaire, la situation est la même : la France a massifié le système et allongé les études, mais, à l’exception d’une minorité de lycéens ou d’étudiants – les grandes écoles et les instituts universitaires de technologie (IUT) d’un côté, certaines filières des lycées professionnels de l’autre –, le système scolaire reste dans une distance maximale à l’emploi.
Aujourd’hui, lorsqu’un étudiant quitte l’université, il a une chance sur deux d’occuper un poste qui n’a aucun rapport avec sa formation, ce qui constitue un gâchis individuel et collectif considérable. En 1965, 15 % d’une classe d’âge accédait au baccalauréat, ce qui permettait à ces jeunes diplômés de devenir cadres moyens ou supérieurs. Aujourd’hui, dans un monde où 70 % d’une classe d’âge obtient son diplôme en fin de terminale, les bacheliers deviennent parfois caissiers de supermarché. Cette distorsion entre les promesses de la scolarisation et la réalité du monde du travail a engendré une frustration extrêmement forte.
Vous venez de publier un livre sur le sentiment d’injustice dans le monde du travail. Avez-vous retrouvé cette amertume chez les étudiants devenus salariés ?
Il y a aujourd’hui, dans le monde du travail, une « noblesse déchue » constituée de diplômés qui ont un emploi très inférieur à ce qu’ils espéraient. Cela crée des amertumes et des relations tendues avec la hiérarchie : dans une société société qui croit tellement aux diplômes, obéir à quelqu’un qui a moins de titres que vous, c’est parfois difficile. Ces distorsions créent un mode d’entrée négatif dans le travail, qui oblige nombre de salariés, dans les premières années, à faire – parfois douloureusement – le deuil de leurs espérances. Après, beaucoup s’aperçoivent que le monde du travail offre finalement plus d’opportunités et de mobilité qu’ils ne le croyaient.
Quelles sont les conséquences de l’allongement de la durée des études et de la difficulté d’insertion sur le marché du travail sur la vie privée des jeunes et les relations entre les différentes générations ?
Les jeunes vivent souvent un moment agréable de leur vie – ils consomment beaucoup, leur vie amoureuse et amicale n’est pas contrôlée par les adultes –, mais ils entrent de plus en plus tard dans l’emploi stable, la vie conjugale et la parentalité. Or, être adulte, c’est être autosuffisant : vivre de son travail, payer son appartement, fonder une famille si l’on en a envie. Aujourd’hui, le déplacement du calendrier est considérable : à 25 ans, certains jeunes n’arrivent pas à devenir adultes parce que leur banquier ne leur fait pas confiance ou parce que leur propriétaire leur demande six mois de caution.
Ces situations sont parfois vécues dans une vraie douleur, notamment dans les classes populaires, où la cohabitation avec les parents est plus difficile en raison de la taille du logement. Les solidarités familiales sont fortes, les transferts financiers entre générations sont importants, mais ces amortisseurs empêchent aussi les jeunes de grandir et d’entrer dans la vie adulte. Ce bouleversement du calendrier est une véritable révolution lente.
Dans le domaine de l’école et du travail, les autres pays européens ont-ils suivi la même voie que la France ?
Les taux de massification sont à peu près semblables aux nôtres en Europe et aux Etats-Unis, mais le processus de déclassement scolaire qu’a connu la France ne se retrouve que dans deux autres pays, l’Espagne et l’Italie. Ailleurs, les Etats ont mis en place des formations universitaires couplées à des stages et à des perspectives professionnelles et, dans les pays comme le Canada et les Etats-Unis, l’emprise du diplôme sur l’accès à l’emploi est beaucoup moins forte : le patron fait plus confiance à l’individu qu’à son diplôme.
En matière de travail, il y a un fait social français : nous connaissons, par rapport à nos voisins, un taux de chômage des jeunes exceptionnellement élevé. C’est un choix qui s’est fait naturellement parce qu’on a longtemps cru que la crise ne serait pas durable, parce qu’il y a, en France, une foi inébranlable dans les mérites de l’école qui a beaucoup pesé en faveur de la massification du système scolaire et parce que le syndicalisme est faiblement implanté, même s’il est institutionnellement fort.
Comme nous n’avons pas eu, collectivement, la capacité de modifier la donne en matière de chômage des jeunes, nous avons eu tendance à faire porter la responsabilité de la crise actuelle à des causes seulement extérieures, comme la globalisation. Dans notre enquête sur le travail, nous avons trouvé peu de salariés pour qui les injustices étaient le fait du patronat ou des rapports sociaux. En revanche, nombreux sont ceux qui pensent en termes nationaux et qui estiment que le monde extérieur nous menace. C’est cette tentation de « sortir du monde » qui explique le succès du vote non au référendum sur la Constitution européenne, notamment auprès de ceux qui se considèrent comme les perdants de l’histoire, dans les secteurs traditionnels en récession ou au sein de l’Etat, qui pense que sa position centrale est en train de s’éroder. Ainsi se noue cette alliance étrange entre une petite bourgeoisie traditionnelle et populaire qui se porte sur le vote d’extrême droite et une classe moyenne d’Etat qui se porte sur le vote d’extrême gauche. Le non à la Constitution n’est pas l’expression d’un nationalisme congénital français, mais le fruit d’une attitude qui a consisté à considérer, depuis trente ans, que les problèmes sociaux étaient uniquement liés à la mondialisation économique.
Il m’arrive de penser que le climat dans lequel nous vivons n’est pas très différent de celui des années 1930 : un climat fortement idéologique dominé par le sentiment de la chute nationale, de la fin de la nation et de la disparition de la puissance. Lorsque l’on interroge les gens, dans les enquêtes, ils pensent à 80 % que les choses, demain, seront pires qu’aujourd’hui. Ils affirment qu’hier, c’était mieux, même quand ils trouvent que leur sort est acceptable. Or les statistiques permettent de penser que, dans bien des domaines, hier, c’était pire. Hier, les pauvres étaient plus pauvres, l’espérance de vie était moins longue, les gens étaient moins bien soignés, on était moins bien éduqué, les femmes étaient plus maltraitées, les vieux mouraient de faim. Mais l’utopie est derrière nous.
Propos recueillis par Anne Chemin et Jean-Michel Dumay.
escrito por ai.valhamedeus
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